Avec cette rubrique et la collection « Les Carnets du Train Jaune » (Ed. Talaia), nous vous proposons une rétrospective, un voyage dans le temps au travers de la construction de la ligne du Train Jaune et de son histoire. Cette collection est le fruit d’une collaboration entre le Parc naturel régional des Pyrénées-catalanes et les historiens Pierre Cazenove et Jean-Louis Blanchon.

Dans cette seconde partie, nous vous proposons de revenir plus en détail sur une des prouesses techniques de la ligne du Train Jaune : la construction du pont Gisclard !

Les travaux du pont Gisclard

En ce XXe siècle naissant, l’œuvre colossale consistant à désenclaver la Cerdagne à travers la création d’une ligne de chemin de fer, ce gigantesque chantier donc, sculpte peu à peu la montagne catalane. Depuis Villefranche-de-Conflent, les rails commencent à courir sur les flancs des montagnes particulièrement escarpés. Dans la vallée du Haut-Conflent, le chantier crée une véritable révolution. Cette terre isolée, voit avec circonspection débarquer des ouvriers venus des horizons les plus divers.

Peu de lignes, même en pays de montagnes, présentent un tracé aussi escarpé (certes pittoresque) que celui du Train Jaune. Le choix de la traction électrique va bientôt s’imposer ainsi que le type de ponts et d’ouvrages d’arts qui devaient enjamber le cours de la Têt. Là encore, les solutions adoptées font la part belle au talent des ingénieurs, notamment aux concepteurs de deux d’entre eux, le viaduc de Fontpédrouse (viaduc Séjourné) et le pont suspendu de La Cassagne (pont Gisclard), proposant aussi une esthétique remarquable en matière d’architecture ferroviaire. Les concepteurs du Train Jaune utilisent les technologies les plus avancées de l’époque en matière de transports et de travaux publics. Cela est plus particulièrement vrai pour le pont Gisclard.

Le télécharge installé pour la construction du pont Gisclard, a une portée de 300 m, et une charge utile de 3 000kg. Installé sur la culée côté Villefranche, il permet le transport du matériel et du personnel. © Jean-Coll.Daniel-KEHR

La mise en place de ce genre de pont constituait la partie la plus délicate de la construction, car on se trouvait au dessus d’un ravin large, profond et escarpé. Voici les diverses phases de ce travail :

  • Construction des piles et culées en maçonnerie.

Cette construction n’a présenté aucune difficulté particulière. Les fondations sont assises sur le rocher.

Commencée en juillet 1907, terminée en septembre 1908, la construction du pont métallique s’est effectuée sans qu’il ne soit arrivé le moindre accident au personnel. © Arch.-LEINEKUGEL-LE-COCQ
  • Montage des pylônes métalliques.

Le télécharge apporta à pied d’œuvre (sur pile) les divers éléments nécessaires au montage. Une grue auto-élévatrice fut établie et servit à mettre en place les tronçons d’arbalétriers et le treillis formant le premier étage du pylône.

Le montage des pylônes métalliques, commencé en juillet 1907 a demandé 2 mois. On visualise bien ici l’audacieuse entreprise qu’a été, la construction de cet ouvrage. © D. Leinekugel Le Cocq
  • Montagne de la suspension.
Pose du tablier. © Arch.Gerard-CARRIERE
  • Durée de l’exécution des travaux métalliques.

Le montage des pylônes a demandé deux mois, celui de la suspension et du tablier onze mois environ. Le pont suspendu de La Cassagne a été étudié par M. Le Commandant du Génie Gisclard, inventeur du système. Il a été exécuté par M. Arnodin, ingénieur-constructeur spécialiste des ponts suspendus comme à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret).

Les éléments du pont de La Cassagne sont fabriqués par l’entreprise Arnodin de Châteauneuf-sur-Loire. Toutes les pièces nécessaires à la construction des pylônes et du tablier sont usinés puis assemblées « à blanc » dans les ateliers. Il s’agit d’un pre-montage à l’aide de boulons, afin de vérifier le montage par rapport aux plans établis par les ingénieurs.

Si la construction de la partie métallique du pont Gisclard n’a occasionné aucun accident, il n’en est pas de même pour la partie en maçonnerie. C’est à l’entreprise Moreau-Duran qu’est confiée l’édification des 3 piles qui constituent les appuis au sol du futur ouvrage d’art. Des maçons, des tailleurs de pierres (picapedrers), des charpentiers, de simples paysans qui offrent leur service afin d’améliorer leurs ressources, sont embauchés et travaillent dans des conditions difficiles.  C’est l’histoire de l’un d’eux, originaire de Fontpédrouse qui nous est rapportée par sa petite-fille : (souvenir de famille, Bulletin n°15 de l’APPCF. JP. Et .NJany)

« Joseph Labric est engagé ainsi que de nombreux hommes du village comme manœuvre et travaille au viaduc Gisclard. Un jour de 1905 ou 1906, désigné pour aller chercher de l’eau à la rivière (est-ce le plus jeune ? Est-ce son tour ?), il descend… Un bruit de pierres qui roulent, un grand cri, une pierre le frappe à la tête et la blessure le laisse inconscient, le crâne ouvert. Ses camarades accourus, le tiennent pour mort, remontent son corps près de la route et jettent dessus une couverture. Le soir, après le travail, ils ramènent le corps de Joseph à Saint-Thomas et le posent sur la table de la grande pièce.

Sa maman effondrée de douleur, ne croit pas à la mort de son enfant et refuse que l’on dresse une chambre mortuaire ; elle demande que l’on aille chercher le docteur, certainement à Mont-Louis. Lorsqu’il arrive quelques heures plus tard, il perçoit un souffle de vie, et là, sur la table, il procède à une trépanation qui sauvera Joseph ».