Souvenir “Coup de filet aux Bouillouses”

« Ma première montée sur le barrage remonte à 1952, j’étais alors en « colo » à Font-Romeu et nous avions fait la balade jusqu’au barrage en passant par les 3 lacs inférieurs. J’avais 12 ans. Depuis, j’ai eu l’occasion d’y travailler, mais aussi d’y pécher et d’y skier. En effet, lorsque nous descendions de rando à ski du lac le Soubiran au pied du Carlit, nous traversions les lacs gelés et finissions par les Bouillouses. Ce n’est pas cela que je vais vous conter, mais une anecdote cheminote sans rail ni traverse ni Z 201 ou 202, comme j’en ai tant d’autres.

Depuis 1970 j’étais en poste sur la LAC (Ligne Autonome de Cerdagne) et nous sommes fin 1973.

Le temps est à la neige, il suffit de renifler l’air pour le sentir. La nuit est tombée. Seule une lampe à abat-jour vert fait une tâche sur mon bureau. Au dehors le halo des lampadaires illumine le quai de la gare de Mont-Louis-La Cabanasse. Plus bas, la Cabanasse et ses lumières. Pas un bruit. J’aime ces instants qui me permettent dans cette ambiance studieuse de mettre à jour quelques dossiers, certain que pas un quidam d’un quelconque service biterrois ne viendra jouer les importuns.

Erreur, ça sonne.

A l’autre bout, le commandant de Gendarmerie de Mont-Louis, M. avec qui j’ai de très bons rapports. Il connaît mes habitudes. « Tu as ta voiture ? ».  A ma réponse affirmative il me dit « monte » et à ma question légitime sur le pourquoi il répond laconique « Dépêche, je t’expliquerai ». J’entre dans la Gendarmerie, suis invité à me diriger vers le fond, et aperçois deux agents avec des MAT entre les mains, mitraillettes dont j’avais fait connaissance en Algérie, lors de mon service militaire.

« Vous partez en guerre ? », suivi de « Tu viens avec nous, je t’expliquerai en route, nous montons aux Bouillouses ».

Précision : le District gérait l’entretien des bâtiments du Centre de Vacances SNCF, sis aux Bouillouses, centre constitué de divers bâtiments reliquats des travaux de surélévation du barrage et de nouvelles constructions destinées à la colo. Restaient aussi les anciens logements des deux gardes-vannes qui y ont résidé longtemps, dont A. P. Il n’y vivait plus que l’été avec son épouse, qui, au fil du temps, y avait créé un hôtel – restaurant cher aux pécheurs et autres promeneurs.

L’établissement était fermé en hiver, et A. P. était monté depuis Mont-Louis pour une raison ou une autre. Il avait repéré dans un des bâtiments, dortoir en bois abrité dans les arbres, de la lumière, y avait jeté un œil, vu des « individus » et avisé la Gendarmerie.

L’intervention de ces derniers venait du fait que, dixit M., des labos de drogue itinérants ainsi que des fabriques de faux billets s’installaient et ne restaient pas en place longtemps.

Les trois pandores, A P et votre serviteur se dirigent vers le bâtiment. Les deux gendarmes armés se placent de part et d’autre de la porte vitrée.  M., la main bien positionnée sur son arme, frappe …

Avec A.P. nous nous tenons à l’écart, notre culture cheminote ne nous ayant pas formé à ce genre d’exercice.

Arrive un jeune, une lampe à la main, qui ouvre (fermeture par verrous). Ils sont trois randonneurs catalans qui déclarent avoir prévu l’excursion du Carlit le lendemain, et qui, n’ayant pas trouvé l’abri du Club Alpin, mal signalé, ont réussi à entrer par un vasistas mal fermé. Ils se sont installés. A cet effet, dans une des chambres, ils ont récupéré des couvertures sur les lits du bâtiment faisant office de dortoir l’été. Bien « calés » et à l’abri, ils font bouillir de l’eau pour préparer une quelconque mixture chère aux randonneurs.

Au dehors quelques flocons de neige tourbillonnent.

Une courte entrevue entre M. et A. P. nous amène, après avoir récupéré les identités et avoir prévenu nos trois montagnards qu’une visite serait faite par la suite, à les laisser dormir sur place.

Retour dans l’établissement de A.P. qui nous offre à boire.

Un véhicule stoppe.

Le taxi de C. de Mont-Louis amène trois passagers. Catalans eux aussi, ils ont également envisagé le Carlit le lendemain, mais ont prévu de camper. Ils s’enquièrent du meilleur endroit abrité.  A. P. le leur indique.

Rapide coup d’œil avec M. Nous ne pouvons décemment que leur proposer de rejoindre leurs compatriotes. M. récupère les identités, les conduit au dortoir.

Notre BA du jour est accomplie. La bière est fraîche.

Ce fut mon seul acte de guerre de ma vie. Et je m’en réjouis. »

Dunyach Joanpere

Chef de District de 1970 à 1974


Entretien avec Joanpere Dunyach pour en savoir plus sur sur sa carrière : « A l’époque, cela s’appelait la Ligne Autonome de Cerdagne « LAC ». La direction régionale de la SNCF se trouvait à Marseille. Il y avait 4 arrondissements, dont la notre à Béziers et une section à Perpignan. Celle-ci couvrait tout le département sauf la ligne de Cerdagne. Le chef de dépôt gérait tout de Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol et l’atelier ave près de 150 ouvriers peintres, tourneurs, fraisers, électriciens…).

Je m’occupais de la voie, des 63 passages à niveaux, des 600 ouvrages d’art…les petits et les grands. Il y a des viaducs magnifiques que personne ne connait dispersés dans la nature.

Je m’occupais aussi des bâtiments et du Centre de vacances SNCF des Bouillouses. Les Bones Hores ont été construites pour les Jeux Olympiques de 1968 (Mexico). C’est là aussi qu’ils ont créé le Lycée climatique pour les entrainements de athlètes.

Puis en 1975 j’ai été rattaché à la section de Perpignan au moment de l’éclatement de la gestion autonome de la LAC. »

Réservoir de la Bouillouse – Altitude 2000m – Vue du barrage fin Aout 1907 © Coll._François_Weinberg – Coll._François_Weinberg

Récit Souvenir